Paysages Premiers
Duo show/ Eléonore Deshayes, 22 octobre - 3 décembre 2022, Galerie Jean-Louis Rammand, Aix-en-Provence, France.
Texte de l’exposition par Blandine Boucheix
Des œuvres d’Anouk Mercier et Éléonore Deshayes émerge une douce présence, la rémanence d’un vécu parfois imaginaire ou la nostalgie d’un passé recomposé par une mémoire disparate. Leurs paysages se forgent d’assemblages, de rencontres avec l’image, qu’elle soit issue d’un quelconque réel ou d’un fantastique saisi par les artistes des temps passés.
S’il règne une étonnante étrangeté dans les paysages d’Anouk Mercier, sans doute vient-elle de ses ciels quasi mystiques qui accueillent les formes, parsemés de bulles de nuages. Les encres projetées à l’aérographe par couches successives se rencontrent et se mêlent, laissant au hasard une place semblable à celle de la rencontre des éléments dans la poésie des lumières célestes. S’y détachent les silhouettes bien reconnaissables de ruines ou de fontaines, de colonnes et statues... Autant de fragments nés d’une inspiration antique croquée par les artistes des XVIIe et XVIIIe siècles qu’elle s’approprie à son tour. Des cartes postales victoriennes et paysages romantiques qui forment son répertoire d’inspirations, elle puise un matériau qu’elle photocopie, agrandit puis associe dans un nouvel univers, celui d’un jardin immense dans lequel les fabriques proposent autant de vues idéales habillant montagnes et étendues d’eau plus ou moins mouvantes. Ces éléments naturels nous portent vers l’inquiétant sublime qui régit la beauté changeante d’un monde maîtrisé par la main de l’homme, reconstruit à l’image de ce qu’il souhaite en voir.
Ce voyage à la fois universel et intime au gré de la pensée humaine apposée au paysage rejoint celui que nous propose Éléonore Deshayes. La planéité de ses œuvres nous renvoie à l’estampe japonaise dont la poésie souligne l’épure, basculant le spectateur vers ses propres ressentis face à la nostalgie de l’artiste. Ses matériaux visuels sont issus de ses propres photographies de voyage dont elle extrait les éléments propres à composer un nouveau paysage teint de mélancolie. L’usage du matériau photographique incite à la profondeur, à l’exploration de couches visuelles successives, superposées en étapes graphiques. Les couleurs, franches et douces, amènent une part d’incertitude par leurs coulures. L’artiste interroge ainsi l’arrêt souhaité du temps dans la recomposition du souvenir, comme un mouvement perpétuel impossible à saisir. En découle un questionnement sur le paysage même qui nous accueille, dont l’existence n’a de sens que dans les yeux de celui qui le regarde, en délimite les points d’intérêt comme la finitude.
Ces souvenirs d’une histoire commune ou personnelle nous portent alors dans des lieux étranges, dont le spectateur peut s’imaginer le récit, résoudre les énigmes qui s’étalent entre passé du souvenir et présent de l’œuvre, réel du matériaux visuel ou fiction de sa représentation. La déconstruction mène à la reconstruction d’un espace unique, détaché de ses sources d’inspiration pour aller vers un langage universel que chacun est libre de s’approprier au rythme de sa propre imagination.
Photography: Copyright Max McClure